Dans le grand dictionnaire de la politique moderne, il manque un mot. Un mot pour décrire cette capacité à dire une chose et son contraire, souvent dans la même semaine, parfois dans la même phrase. Un mot pour définir cette stratégie qui ne vise pas tant à mentir qu'à rendre la vérité insignifiante.
Inspiré par une discussion éclairante, appelons ce mot la "versalité". Contraction de "versatilité" et de "volatilité", ce néologisme capture l'essence de l'arme politique la plus redoutable et, sans doute, la plus perverse de Donald Trump.
Qu'est-ce que la "versalité" ?
Ne la confondez pas avec la simple incohérence ou le mensonge politique classique. Le menteur traditionnel tente de cacher la vérité. L'adepte de la "versalité", lui, noie la vérité sous un déluge de déclarations contradictoires. Il ne construit pas une fausse réalité ; il en propose une multitude, interchangeables, jetables, adaptées à l'audience et à l’instant présent.
La "versalité" est l’art de se rendre insaisissable. C’est affirmer avec la plus grande fermeté que la date butoir du 9 juillet est absolue, pour ensuite murmurer qu’elle n’est « pas gravée dans le marbre ». C’est critiquer une entreprise un jour et approuver son rachat le lendemain. Chaque déclaration annule et remplace la précédente, rendant toute tentative de vérification factuelle obsolète à peine publiée.
« Ce n’était pas une frappe destructrice, c’était un avertissement stratégique. »Et de conclure : « C’était pour leur montrer ce qu’on pourrait faire. »
Dans ce ballet de déclarations, la vérité n’est plus qu’un accessoire de mise en scène.
Un outil stratégique, pas une faiblesse
Là où certains voient de la confusion, il faut voir une stratégie d’une efficacité redoutable :
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L’épuisement de la critique.Comment critiquer une cible qui bouge constamment ? Le travail des journalistes et des fact-checkers devient une course sans fin. Le temps de vérifier une affirmation, celle-ci est déjà reniée ou remplacée. L’outil est conçu pour briser le mécanisme qui le mesure.
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Le contrôle de l’agenda.En générant un flot continu de micro-controverses, la "versalité" assure une domination quasi totale du cycle de l’information. L’attention est constamment détournée des enjeux de fond pour se concentrer sur la dernière saillie. L’agenda n’est plus subi, il est créé par le chaos.
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La segmentation de l’audience.C’est peut-être son aspect le plus brillant. La "versalité" permet de tenir un discours différent pour chaque segment de l’électorat. La base entendra la promesse radicale, les modérés entendront la nuance rassurante. Chacun peut choisir la version qui lui plaît, et croire que c’est la « vraie » pensée du leader.
L’impact pervers : la dégradation du débat public
Si l’outil est efficace, il est aussi profondément pervers. Son usage répété a un effet corrosif sur la démocratie. Quand les mots n’ont plus de poids, quand les promesses sont volatiles et la vérité une variable d’ajustement, que reste-t-il ?
Il reste le cynisme, l’épuisement citoyen, la dépolitisation par saturation. Le sentiment que tout se vaut, que tout n’est que spectacle. La « versalité » ne vise pas seulement à gagner un argument ; elle vise à dégrader le terrain sur lequel tous les arguments sont censés s’affronter.
Pourquoi il faut la reconnaître — et la combattre
Comprendre la "versalité", ce n’est pas seulement analyser la méthode Trump. C’est apprendre à lire entre les lignes de notre époque. C’est retrouver le réflexe de demander des comptes, même à ceux qui se présentent comme insaisissables.
Et si le but final de la versalité n’était pas d’avoir raison, mais de rendre impossible que quiconque ait tort ou raison ?